Comment transformer une cellule en usine à virus ?

Équipe « Biologie de l’infection, mécanismes de virulence »

Mireille Ansaldi, Julián Bulssico, Raphaël Rachedi, Benjamin Rémy; Relecture : Étienne Decroly
Directeurs de publication :

Tâm Mignot & Yann Vacher

A retenir : Plusieurs étapes sont nécessaires à la transformation de la cellule hôte en usine virale. Il
faut que le virus reconnaisse sa cible, puis y pénètre et s’y multiplie de nombreuses fois à l’identique
avant de ressortir pour infecter de nouvelles cellules. Toute ces étapes constituent le cycle viral qui
est à l’origine de la maladie.

Les coronavirus sont étudiés depuis plusieurs décennies et leur cycle viral comporte des
caractéristiques communes 1. Bien que les spécificités du nouveau SARS-CoV-2 n’aient pas toutes été
étudiées en profondeur, il est possible néanmoins à partir des connaissances déjà acquises sur ce
type de virus d’extrapoler son cycle viral car nous conaissons bien des virus très homologues. Ce
texte décrit dans ses grandes lignes chronologiques, ce cycle chez les coronavirus, dont certaines
étapes ont déjà été décryptées chez le SARS-CoV-2, notamment celles nécessaires à la
reconnaissance des cellules humaines.

Comment le virus reconnaît sa cible ? Le modèle clé-serrure

Afin de pouvoir se reproduire et se propager, les virus doivent absolument infecter des cellules hôtes
qu’ils transforment en véritables usines de production de virus. Mais, avant de pouvoir se répliquer,
les virus doivent reconnaître des types cellulaires spécifiques qui permettront leur multiplication. En
effet, les virus n’infectent pas n’importe quelles cellules du corps. Pour reconnaître leurs cibles, ils
possèdent à leur surface des protéines qui vont “s’emboiter” à la manière d’une clé sur des
récepteurs présents à la surface de leurs cibles et qui agissent comme des serrures.
Dans le cas du SARS-CoV-2, c’est la protéine S ou spicule présente à la surface de l’enveloppe du
virus qui va jouer le rôle de clé et reconnaître spécifiquement un récepteur particulier : le récepteur
ACE2 (pour Angiotensin-Converting Enzyme 2) qui servira de serrure et permettra au virus d’entrer
dans la cellule cible.

Quelles sont les cellules et organes ciblées par le SARS-CoV-2 ?

Comme nous l’avions dit dans la capsule précédente, les cellules majoritairement ciblées par le
SARS-CoV-2 sont celles de l’épithélium pulmonaire. Cette spécificité s’explique par la présence
abondante à leur surface du récepteur ACE2. Cependant, les cellules pulmonaires ne sont pas les
seules à présenter ce récepteur à leur surface. On le retrouve en effet en abondance à la surface de
certaines cellules intestinales (principalement les entérocytes) mais également, en abondance
variable, à la surface de nombreux autres types cellulaires tels que sur certaines cellules des
vaisseaux sanguins (cellules endothéliales et cellules musculaires lisses), certaines cellules de la peau
(lame basale de l’épiderme et follicules pileux) et sur certaines cellules rénales 2. On trouve
également le récepteur ACE2 sur des cellules du cœur 3 et des testicules (cellules de Leydig 4) ou
encore sur les cellules nerveuses 5.
Cette distribution large du récepteur ACE2 dans le corps pourrait en partie expliquer la multitude de
symptômes possibles parfois qualifiés “d’atypiques”. Cependant il faut garder en tête que malgré le
fait que la présence du récepteur ait été confirmée à la surface de différents types cellulaires, la
réplication du virus n’a pas forcément été constatée dans tous les types cellulaires portant le
récepteur car les cellules ont des mécanismes naturels pour se défendres des attaques virales
(immunité innée, restriction). À ce jour, on ne connaît pas précisément toutes les cellules cibles du
SARS-CoV-2.
Ceci étant dit, des analyses de cas cliniques récents suggèrent une réplication virale dans le tractus
intestinal (Wong 2020) et la présence du génome du SARS-CoV-2 a également été détectée dans le
liquide cérébrospinal d’un patient atteint de méningite sévère 6 indiquant que le virus pourrait
également s’attaquer au système nerveux 5, ce qui permettrais peut être d’expliquer la perte
d’odorat chez certains patients.

A lire  Quelle protection apportent les différents types de masques face au SARS-CoV-2 ?

Comment le virus rentre-t-il dans la cellule ?

Nous l’avons vu précédemment, les coronavirus sont des virus enveloppés par une membrane, par
conséquent la fusion avec la membrane de l’hôte est une étape essentielle et critique pour la
livraison de l’ARN viral.
Comme le cheval de Troie, le virus trompe son hôte et entre inaperçu. Une fois à l’intérieur, le virus
en profite pour libérer son génome et commencer à se répliquer (Figure 1).
Le processus d’entrée se déroule en quatre étapes 7:
1- l’attachement à la surface de la cellule hôte, grâce à l’interaction avec le récepteur ACE2.
2- l’internalisation du virus dans une vésicule.
3- la fusion de l’enveloppe du virus avec la membrane de la vésicule. Toutefois il semble que
le virus pénètre dans certaines cellules en fusionnant directement avec la membrane
externe de la cellule.
4- la libération du génome viral à l’intérieur de la cellule hôte.
Le rôle des spicules est très important et va être décrit plus en détail. Dans le cas du coronavirus, la
protéine S qui forme les spicules du virus orchestre le processus d’entrée du virus dans les cellules.
Ce processus implique deux clivages de la protéine S par des protéases cellulaires et des
changements dans sa structure au cours des différentes étapes.

Plus précisément, la protéine S est composée de deux parties : S1 qui permet la reconnaissance du
récepteur et S2 qui est enchâssée dans la membrane du virus et qui induit la fusion avec la
membrane de l’hôte pour relarguer le matériel génétique 8. La protéine S à la surface du virus est
inactive et elle est rendue active par une premmière coupure en S1 et S2 à la surface cellulaire.
Dans des conditions standards, le virus est adressé dans des vésicules intracellulaires et ces vésicules
fusionnent avec une autre (b), appelé lysosome, qui contient des enzymes dont le rôle est de
“digérer” le contenu de la première vésicule. C’est à cette étape que pourrait intervenir la
chloroquine.

Dans le cas du coronavirus, les enzymes de l’hôte sectionnent la protéine spicule au niveau d’un
second site particulier dans le domaine S2 (c). Cette coupure permet le rapprochement de la
membrane du virus et de la membrane de la vésicule de l’hôte (e) 9. En raison de la proximité entre
les deux membranes, la fusion se produit (f). En conséquence, l’ARN est libéré à l’intérieur de la
cellule.

A lire  Quelle protection apportent les différents types de masques face au SARS-CoV-2 ?

Figure 1 : Schéma détaillé de l’étape d’entrée dans la cellule des coronavirus.

Usine virale et blocage des défenses

Une fois l’intérieur de la cellule, une véritable course commence entre le virus et son hôte. Le virus
va devoir produire ses protéines, répliquer son matériel génétique et se protéger des attaques de la
cellule. Le virus va alors pirater son hôte et le transformer en une usine à virus qui comme son nom
l’indique va consister à produire à la chaîne de nouvelles particules virales 10.
Pour cela, après libération du matériel génétique du virus (une molécule d’ARN) dans la cellule, les
coronavirus vont exploiter la machinerie de production des protéines de la cellule hôte constituée de
gros complexes moléculaires appelés ribosomes (étape 3). Ceux-ci sont capable de lire l’information
contenue dans l’ARN pour les convertir en protéines : c’est la traduction. A l’heure actuelle, aucun
virus identifié n’est capable de produire un ribosome entier ce qui les rend dépendant de leur hôte
pour cette étape 11. Pour rendre ce détournement encore plus efficace, les coronavirus n’hésitent
pas à directement empêcher la traduction des ARN de l’hôte et ainsi réduire la production de ses
protéines (étape 4c) 12–14.
Les étapes suivantes permettent de fabriquer les nouveaux virions et de recopier le matériel
génétique.

Pour répliquer son génome, le virus va produire et utiliser une protéine nommée ARN polymérase 15.
Cette dernière est un véritable photocopieur qui va reproduire à la chaîne de nouvelles copies de
l’ARN viral (étape 4a). C’est cette protéine qui est ciblé par certains traitements comme le
Remdesivir ou le Flavpiravir. Pour l’aider dans le processus de réplication, une autre protéine vérifie
la qualité des nouvelles copies de l’ARN viral produites par la polymérase et corrige les erreurs
éventuelles de cette dernière 15. Pour mémoire, les coronavirus ont environ 30000 nucléotides (alors
que la grippe en a environ 10 000), la faculté à corriger les éventuelles erreurs de la polymérase d’un
si grand génome est une clé essentielle de stabilité 16.

En parallèle, il y a une production massive des protéines de la particule virale comme les spicules,
protéines M et E décrites dans l’épisode précédent (étape 4b).

Le virus garantit la réussite de sa reproduction en utilisant un arsenal pour se protéger des systèmes
antiviraux de la cellule (étape 4c). Ces protéines inhibent les défenses de la cellule hôte et l’empêche
de signaler la présence du virus au système immunitaire 12–14.

Comment sont assemblées les briques qui forment les nouveaux virus ?

Les nouvelles copies d’ARN sont enrobées par les protéines N pour former la nucléocapside. Cette
dernière est ensuite entourée dans une membrane provenant de la cellule hôte mais intégrant les
nouvelles protéines virales (spicule, E, M) 13. La nouvelle particule virale va être ensuite transportée
et libérée à l’extérieur de la cellule hôte. Une fois libre dans le milieu extracellulaire, les particules
virales pourront infecter de nouvelles cellules et ainsi amplifier la propagation du virus dans
l’organisme. En moyenne, il est estimé que 1000 nouvelles particules virales sont produites par
cellule.
Figure 2 : schéma récapitulatif du cycle d’un coronavirus.

A lire  Quelle protection apportent les différents types de masques face au SARS-CoV-2 ?

Références :
Site internet : https://viralzone.expasy.org/1951 (usine à virus)
1. Song, Z. et al. From SARS to MERS, Thrusting Coronaviruses into the Spotlight. Viruses 11, (2019).
2. Hamming, I. et al. Tissue distribution of ACE2 protein, the functional receptor for SARS coronavirus. A first step in
understanding SARS pathogenesis. J. Pathol. 203, 631–637 (2004).
3. Chen, L. & Hao, G. The role of angiotensin-converting enzyme 2 in coronaviruses/influenza viruses and
cardiovascular disease. Cardiovasc. Res. (2020) doi:10.1093/cvr/cvaa093.
4. Douglas, G. C. et al. The novel angiotensin-converting enzyme (ACE) homolog, ACE2, is selectively expressed by
adult Leydig cells of the testis. Endocrinology 145, 4703–4711 (2004).
5. Kabbani, N. & Olds, J. L. Does COVID19 Infect the Brain? If So, Smokers Might Be at a Higher Risk. Mol Pharmacol
97, 351–353 (2020).
6. Moriguchi, T. et al. A first Case of Meningitis/Encephalitis associated with SARS-Coronavirus-2. Int. J. Infect. Dis.
(2020) doi:10.1016/j.ijid.2020.03.062.
7. Millet, J. K. & Whittaker, G. R. Physiological and molecular triggers for SARS-CoV membrane fusion and entry into
host cells. Virology 517, 3–8 (2018).
8. Yang, N. & Shen, H.-M. Targeting the Endocytic Pathway and Autophagy Process as a Novel Therapeutic Strategy
in COVID-19. Int. J. Biol. Sci. 16, 1724–1731 (2020).
9. Ou, X. et al. Characterization of spike glycoprotein of SARS-CoV-2 on virus entry and its immune cross-reactivity
with SARS-CoV. Nat Commun 11, 1620 (2020).
10. Neuman, B. W., Chamberlain, P., Bowden, F. & Joseph, J. Atlas of coronavirus replicase structure. Virus Res. 194,
49–66 (2014).
11. Mizuno, C. M. et al. Numerous cultivated and uncultivated viruses encode ribosomal proteins. Nat Commun 10,
752 (2019).
12. Chen, Y., Liu, Q. & Guo, D. Emerging coronaviruses: Genome structure, replication, and pathogenesis. Journal of
Medical Virology 92, 418–423 (2020).
13. Weiss, S. R. & Leibowitz, J. L. Coronavirus Pathogenesis. in Advances in Virus Research vol. 81 85–164 (Elsevier,
2011).
14. Totura, A. L. & Baric, R. S. SARS coronavirus pathogenesis: host innate immune responses and viral antagonism of
interferon. Curr Opin Virol 2, 264–275 (2012).
15. Sevajol, M., Subissi, L., Decroly, E., Canard, B. & Imbert, I. Insights into RNA synthesis, capping, and proofreading
mechanisms of SARS-coronavirus. Virus Res. 194, 90–99 (2014).
16. Bar-On, Y. M., Flamholz, A., Phillips, R. & Milo, R. SARS-CoV-2 (COVID-19) by the numbers. eLife 9, (2020).

Laisser un commentaire

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.